ET SI LES ASSISTANTES SOCIALES OSAIENT JOUER?

La place du jeu dans l’accompagnement social : changeons les règles du jeu!

cards, play cards, game

Lorsque j’étais jeune professionnelle, un cauchemar hantait souvent mes nuits : j’étais en entretien, face à face avec un usager complètement muet. Une sorte de tic tac résonnait très fort dans ma tête, pendant que de grosses gouttes de sueur dégoulinaient de mon front et tombaient sur mon bureau de toute jeune assistante sociale en faisant « ploc, ploc ». Une image plutôt parlante pour illustrer cette angoisse, bien légitime, de ne pas savoir établir le contact, entrer en relation. Bien des années plus tard, j’ai dans ma boite à outil une multitude de trésors, ramassés sur le chemin de mon expérience. Aujourd’hui je viens partager avec vous ma rencontre avec le jeu dans la relation d’aide.

Un peu de sérieux s’il vous plaît.

                   

La faute à Pause café [1] peut-être, le travailleur social tend à vouloir démontrer son sérieux et son professionnalisme en toute circonstance. Puisqu’il a dû se battre très fort pour sa reconnaissance, autant ne pas tout gâcher avec des attitudes trop créatives ou sortant des sentiers battus. Un travailleur social c’est sérieux, il doit rester derrière son bureau, un téléphone à la main, l’autre posée sur son sacro saint agenda. Ca marche comme ça. Ah bon ? Heureusement, d’autres pistes et d’autres témoignages viennent contrer cette vision glaciale et d’un autre âge. Etre professionnel, oui. Statique et rigide …certainement pas. Les mémoires sur le rire dans la relation d’aide fleurissent, les initiatives innovantes pleuvent, on utilise le théâtre comme outil de prévention, on sème de l’art pour que poussent des graines de revalorisation  de l’estime de soi dans le terreau de nos accompagnements. Mais je m’aperçois qu’on parle assez peu du jeu dans la relation d’aide. Pourtant, jouer, c’est du sérieux. Si.

[1]  Pause café est une série des années 80, avec Véronique Jeannot jouant le rôle d’une assistante sociale un peu rebelle et très attachante. Une vision plutôt romancée de la réalité qui a suscité bien des vocations mais aussi pas mal de clichés !

Jeu, tu, il, nous, vous, ils

 

La preuve en est que le sujet prend une belle place dans la relation thérapeutique (cousine germaine de la relation d’aide). Parmi tant d’autres, Anna Freud, Mélanie Klein ou encore Winnicott (et son irremplaçable objet transitionnel) ont étudié cet aspect très sérieusement. Le jeu de société à cette particularité qu’il met un objet au milieu de la relation ; on ne parle pas donc de la relation elle-même ou des problèmes en eux même mais du jeu[1] . Eric Berne, le père de l’Analyse Transactionnelle, en a fait la colonne vertébrale de sa théorie. Même s’il ne s’agit pas ici d’un jeu dans le sens de l’objet mais d’un concept (nous reparlerons un peu plus bas de ce cher Eric). Un dernier exemple pour vous convaincre de l’importance du jeu ? Pendant l’Holocauste, les enfants prisonniers des camps, faisaient semblant d’être des gardiens. Ce « jeu » a certainement permis de dédramatiser l’inacceptable afin de trouver la force de la résilience dans un contexte extrême.

[1]  Psychologie et jeux de société : quels rapports ? L. Devalois, psychologue clinicienne, Weppsy.com

Qui veut jouer avec moi ?           297957085

 

Je vous entends, vous êtes en train de vous dire : « ok, mais je ne me vois pas proposer un jeu de société à une personne venue me demander un hébergement d’urgence ! ». Comme je vous comprends. Bien entendu le jeu n’est pas un outil systématique. Il prend sa place parmi tant d’autres. Allez, on respire un grand coup et on souffle fort pour dépoussiérer un peu nos pratiques.

  1. Jouer, c’est casser cette relation d’aidant et d’aidé  où, malheureusement, le travailleur social se situe en position haute. Quand on joue, on se trouve forcement dans une relation duelle, une interaction où chaque joueur à sa place. Et puis ça fait plaisir à la loi 2002-2, au passage.
  2. Jouer, c’est pas grave. On aime bien gagner mais ce n’est pas dramatique si on perd. On a le droit de faire semblant. Vous vous souvenez ? « D’accord on disait que moi j’étais le voleur …». On laisse nos habits aux vestiaires et on enfile d’autres vêtements. Forcément, ça ouvre le champ des possibles.
  3. Jouer, c’est réveiller « l’enfant libre ». Je vous avais dit qu’on reparlerait de notre ami Eric Berne. Si vous n’êtes pas familier avec cette théorie, je vous fais un résumé, forcément réducteur et incomplet, c’est juste pour pouvoir suivre (ceux qui connaissent peuvent aller se faire un thé 😉 )

L’analyse Transactionnelle (AT) part du principe que nous jouons tous un rôle dans notre vie. Ses rôles ont un impact très fort sur nos réactions, notre façon d’interagir avec les autres. Observer ces jeux permet de mieux comprendre certains comportements. L’AT propose des clefs accessibles pour cette nouvelle lecture et des propositions afin de sortir de certains jeux, surtout quand ils sont toxiques. Les positions du  Moi se partagent entre différents Etats dont celui de l’Enfant qui se compose de l’Enfant Adapté (celui qui se conforme aux règles), l’Enfant Rebel (celui qui s’y oppose) et l’Enfant Libre (celui qui écoute ses envies et besoins de façon prioritaire).

Réveiller l’enfant libre c’est déverrouiller cet état du moi qui touche au plaisir, à la créativité, renouer avec ses émotions. Et nous sommes bien placés pour le savoir, une personne en situation de vulnérabilité a rarement accès à ces fonctions, qui constituent pourtant un sacré moteur dans un processus de réinsertion, par exemple.

https://analysetransactionnelle.fr/p-Les_jeux_psychologiques

  1. Jouer, c’est entrer en contact plus facilement, plus rapidement, au final c’est être efficient. Le travailleur social sait établir une relation dans un cadre complexe, c’est son métier. Mais cela prend du temps, beaucoup de temps (celui de tisser un lien de confiance par exemple). Or, c’est un fait, du temps, nous n’en avons plus. C’est regrettable mais c’est ainsi. Proposer un jeu c’est comme hisser un drapeau sur le début d’une relation : ça va être un bon moment, je ne suis pas supérieur à vous, il y a des règles, votre participation est aussi importante que la mienne, etc.
  2. Jouer c’est … et là je prends conscience que je vais sans difficulté vous lister 42 points. J’ai peur de vous perdre en route…!!

Voici l’histoire que m’a racontée Christel Responsable d’un CHRS : « Fadhila à énormément de mal à s’intégrer parmi les résidentes où elle vient d’être prise en charge. Elle maîtrise mal la langue française et ses tentatives d’inclusion sont extrêmement maladroites et mal vécues par le groupe. Lors d’un après midi jeux, les autres participantes ne peuvent résister à cette personnalité atypique mais très attachante. Elle ne comprend rien aux règles, absolument rien. Mais elle applaudit à chaque fois qu’un joueur gagne avec une sincérité irrésistible. Elle fait preuve de beaucoup d’auto dérision. Ce moment de partage sera un véritable déclic et un soutien précieux pour l’équipe à accompagner son intégration ».

Mon meilleur souvenir est celui de Mireille âgée de 38 ans, elle élève seule ses trois enfants. Elle travaille en tant qu’aide-soignante à l’hôpital et après son divorce, toute sa vie est bouleversée. Menacée d’une procédure d’expulsion locative, elle est contactée par le service social. Mireille réussie à venir après plusieurs tentatives de contacts. Murée dans son silence, c’est par le jeu que la relation va se nouer. Les cartes besoins et Emoticartes vont m’aider à définir avec elle un plan d’action. Plusieurs mois plus tard, Mireille et ses trois enfants déménagent dans un nouveau logement et ils prennent ensemble un nouveau départ. Le jeu, l’outil de médiation m’a été très utile pour instaurer une relation de confiance.

 Si certain ont des expériences à me partager, je suis preneuse à accompagnement@cass-role.fr.

Alors, à quoi on joue ?

Two dices on white background

 

Loin de moi l’idée de vous faire une liste de jeux auxquels « il faut » jouer. Ce serait un non sens. Je partage ici ceux que j’utilise dans ma vie professionnelle et personnelle. Parce que vous vous en doutez un peu … je suis une grande fan de jeux.

Prêts à lancer les dés d’une nouvelle pratique professionnelle ?

Les jeux pour les groupes :

  • Le blind test …succès garanti ! Un smartphone direction You tube, et c’est parti. Attention vous allez être étonnés par le réveil de certaines personnes (accompagnés comme accompagnants)
  • Dessinez c’est gagné (version paperboard) : idem. Irrésistible. Fou rire garanti.
  • Le triomino : la règle est simple et très accessible. Idéal pour les personnes ayant des difficultés à s’exprimer pour quelque raison que ce soit.

Les jeux en relation duelle :

  • Le photolangage ou DIXIT sont des outils puissants pour révéler l’enfant libre, vous vous souvenez celui qui ose parler des émotions…! A travers le choix d’une image, des mots sont posés et la résonnance est parfois forte sur ce que l’on est train de vivre au même moment.
  • Le jeu de 7 familles, Pioche ta nature « dans la famille émotion je voudrais la baleine! » : une vraie révélation ! Un jeu d’expression française en lien avec le vivant, qui par exemple permet de se questionner sur « Etre une bonne poire », « Ménager la chèvre et le choux », « Faire l’autruche »…Les cartes donnent à voir certains de nos comportements et ouvrent le questionnement.
  • Les cartes créatives :  pour inventer des histoires qui se terminent bien! Il suffit de commencer par « il était une fois » un Héros prédéfini par la carte, qui rencontre un problème, qui va être aidé par un allié et un objet magique. Une belle façon de mobiliser son énergie créatrice en faveur d’une histoire pour qu’elle se termine bien. Une façon en PNL (Programmation Neurolinguistique) d’encrer des histoires.
  • Les Story Cubes sont 9 dés jetés au hasard avec des pictogrammes dont la seule règle est de les mettre en lien pour créer une histoire, cela permet à la personne de libérer quelques pensées limitantes le temps du jeu et de faire une expérience de changement de cadre de représentation.
  • Les emoticartes lorsque la personne ne parvient pas à identifier ou à nommer ses émotions
  • Les cartes besoins pour permettre à la personne en demande d’aide de mettre des mots sur ses besoins : sommeil, calme, reconnaissance…

L’outil jeu favorise ainsi la mise en confiance dans une posture d’égal à égal, les égos n’ont plus de place car ce sont les égaux qui gagnent ! 

Etes-vous prêt à commencer la partie ?

 

 

Références :

 Des jeux et des hommes, Eric Berne. Edition Stock. 2014

Le grand livre de l’analyse transactionnel, F.Brecard et L.Hawkes. Edition Eyrolles. 2015

Jeu et réalité, D.Winnicott. Gallimard 2002

Weppsy.com

htpps://www.espritjeu.com:/jeu-de-societe/dixit.html

editionduvivant.fr/produit/pioche-ta-nature

editions-tredaniel.com/cartes-creatives-p-6531.html

Rory’s Story Cubes Original

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